J’ai pu constater que s’adresser au candidat par son prénom était pratiqué par des cabinets de recrutement.
En tant que candidat:
Il s’agissait d’un entretien passé au sein d’une de ces grandes entreprises internationales d’audit que l’on nomme « Big Four ».
Prise de contact :
La recruteuse était une jeune femme sur le point de partir en congé maternité, d’où la nécessité de son remplacement et l’objet de notre entretien. Elle avait à peu prés mon âge, c’est d’ailleurs peut être pour cette raison qu’elle s’est sentie autorisée à m’appeler par mon prénom et non en utilisant le titre d’usage « Monsieur ». J’ai été en effet assez surpris d’entendre la recruteuse m’interpeller par mon prénom pour débuter l’entretien, alors que je l’attendais dans le hall d’accueil.
L’entretien a débuté par une phrase de ce style : « Bonjour Jean, pouvez vous me présenter votre parcours ». Je ne m’attarderai par sur le déroulement de l’entretien en lui-même, d’autant plus qu’il n’y a rien de plus classique que de commencer un entretien de cette façon. Par contre j’ai remarqué d’emblée qu’elle s’adressait à moi par mon prénom. Au cours de notre échange elle m’a appelé de cette manière à plusieurs reprises.
En général lorsqu’on s’adresse à quelqu’un qu’on ne connaît pas, on l’appelle par son nom précédé de « Monsieur » ou « Madame », on s’assure ainsi qu’on est bien face à la bonne personne, puis on se présente. Par contre une fois les présentations faites il n’est plus nécessaire d’appeler la personne car elle a été identifiée, et n’a en principe plus besoin d’être interpellée puisqu’elle est censée être à l’écoute de son interlocuteur.
Pourquoi appeler le candidat par son prénom ?
Appeler quelqu’un par son prénom se fait dans la sphère privée (famille, amis…), c’est donc un signe de proximité. Cette pratique peut être utilisée entre personnes faisant connaissance ce qui permet de casser une distance ; cela dit, seulement si c’est réciproque. Si cette dernière condition n’est pas respectée, la relation entre les protagonistes ne peut plus être « d’égale à égale », elle devient alors de subordination. C’est pour cette raison que je n’ai jamais trouvé choquant de me faire appeler « Jean » par mes supérieurs hiérarchiques alors que je les appelais Monsieur, ou Madame.
Pourquoi m’interpeller de nouveau au cours de l’entretien en m’appelant par mon prénom ?
Comme je l’ai dit plus haut, il n’est en principe plus nécessaire d’interpeller son interlocuteur lors de l’entretien, car il est censé porter toute son attention aux propos du recruteur. Toutefois, cela se pratique dans des discussions pour éveiller l’attention de la personne face à soi. Les débateurs en usent ainsi très fréquemment, que ce soit dans des confrontations juridiques ou politiques. Si la recruteuse a senti le besoin de m’interpeller à plusieurs reprises lors de notre échange, c’est soit que je commençais à ronfler trop fort (ce qui bien sûr n’était pas le cas), soit qu’elle cherchait à attirer toute mon attention. Mais sur quoi voulait-elle porter toute mon attention ? On n’était à ce stade de l’entretien, absolument pas en phase de négociation ou de toute autre confrontation…
Résumons : appeler quelqu’un par son prénom est soit un marqueur de proximité, soit un marqueur de relation de subordination. J’ai aussi indiqué plus haut que s’adresser à quelqu’un par son prénom pouvait permettre de casser une distance et de cette façon, mettre à l’aise son interlocuteur, j’ai justement précisé dans un autre article de ce blog qu’il était important de mettre le candidat à l’aise. Or, le cadre d’un entretien de recrutement ne doit être ni familier ni, en principe de subordination ; j’en conclue et que cette pratique est ambigüe et ne doit pas trouver sa place au cours d’un entretien de recrutement.
Ma vision des choses :
Si on demandait à la recruteuse pourquoi elle m’a appelé par mon prénom, elle répondrait certainement que c’est parce qu’on est dans une entreprise qui a su rester simple où l’on « ne se prend pas la tête », que ça permet aussi de mettre le candidat à l’aise en désacralisant l’entretien. C’est défendable. Cependant de mon côté, je ne me suis pas permis de l’appeler par son « petit nom », la relation d’égale à égale était donc rompue.
Par ailleurs, elle m’a interpellé à plusieurs reprises au cours de l’entretien, elle cherchait donc à attirer mon attention. Je me demandais pourquoi, car en principe mon attention était acquise et si cela avait eu besoin d’être fait, ça aurait démontré mon manque de motivation pour le poste et donc mettre fin à l’entretien.
Conclusion :
1. En s’adressant à moi par mon prénom, elle s’est posée en situation de supériorité par rapport à moi.
2. En m’interpellant à plusieurs reprises elle a confirmé le premier point énoncé.
Je ne jette pas non plus la pierre à cette fille, je ne pense pas qu’elle ait fait cela par machiavélisme et qu’elle ait de son côté effectué l’analyse que je viens de faire. Non, elle s’est, à mon avis, tout simplement imprégnée de la culture de son entreprise et s’est contenté de reproduire les pratiques de sa boîte, ce n’est qu’une question de mimétisme. En tout cas grâce à ce simple détail, on peut en supposer long sur une entreprise.
En tant que client :
En tant que cadre RH, j’ai eu à travailler avec des cabinets de recrutement. Une fois, j’ai assisté mon supérieur lors d’un rendez-vous commercial avec une conseillère en recrutement. J’ai tout de suite remarqué qu’elle s’adressait à moi en m’appelant Jean, alors qu’elle ne se permettait pas cette familiarité avec mon supérieur hiérarchique.
Je pense qu’en m’appelant par mon prénom, elle voulait donner un ton décontracté, tout en cherchant à mettre en valeur la méthodologie sérieuse du cabinet. La finalité étant certainement de donner une touche « on est cool mais on bosse », faisant penser aux « startups » californiennes connotées entre autre pour leur modernité et leur efficience.
En appelant mon chef Monsieur et moi par mon prénom, elle a aussi montré qu’elle avait identifié qui était le preneur de décision final. Elle n’avait pas tord c’était bien mon bosse qui signait le chèque, mais je faisais quand même partie des prescripteurs, ma mission étant de donner mon avis et de rédiger un compte rendu sur chaque cabinet destiné à l’ensemble des associés…
Ce deuxième exemple me permet de constater que s’adresser à des inconnus en les appelant par leur prénom n’est pas une pratique isolée dans le monde du recrutement.